Notre approche

Le domaine de la radicalisation violente est structuré par des débats sémantiques et des présupposés avec une lecture sécuritaire guidée par des intérêts idéologiques et politico-économiques, plutôt que par une compréhension systémique des dynamiques macro, méso et microsociales.

La radicalisation

La radicalisation doit être appréhendée :

  • Comme un processus dynamique (à double sens) de bris dans la relation. Pour la comprendre, il faut la penser dans son aspect fondamentalement bilatéral, puisqu’à la radicalisation de l’un répond, en écho, la radicalisation de l’autre ;

  • Dans une perspective systémique, et non limitée aux motivations et trajectoires individuelles.

La radicalisation prendracine dans les polarisations de la société. Une société se polarise lorsque, nourris par des conflits intercommunautaires et des menaces identitaires et économiques, des groupes délaissent peu à peu un point de vue modéré et des pratiques normales de dialogue et de compromis, au profit d’une vision plus rigide qui rejette le statu quo, exige un changement social drastique pour protéger les intérêts d’un groupe, et emploie des tactiques de confrontation et de conflit.

La radicalisation n’est pas en soi à combattre, puisque ses manifestations peuvent être un moteur de progrès social. C’est sa tangente violente qu’il faut comprendre, pour pouvoir la prévenir. En effet, lorsque les revendications impliquent l’usage de la violence, elles prennent la forme de crimes ou incidents haineux, d’attentats ou de tueries de masse visant souvent un groupe (sur une base raciale, religieuse, genrée, ou incarnant une position politique). On parle alors de radicalisation violente (RV).

De plus, les travaux de l’équipe RAPS amènent à repenser les modélisations de la radicalisation violente souvent présentée comme s’il existait une relation linéaire entre radicalisation des opinions et attitudes, et adoption de comportements violents. Or, s’il existe une relation entre la radicalisation de l’opinion publique et la probabilité d’événements violents, les opinions et attitudes ne permettent pas de prédire la survenue de comportements violents, lesquels peuvent surgir comme divers points de bifurcation au fil d’un parcours.


Radicalisation violente et mondialisation

Comprendre de façon systémique le phénomène de la radicalisation violente exige une saisie pluridisciplinaire des transformations sociales associées à la mondialisation. Pour éclairer la montée des polarisations à l’échelle de la planète, nous nous référons aux travaux de Habermas et de Derrida qui soulignent les liens entre le rétrécissement des espaces de dialogue induit par la mondialisation, dans un contexte de multiplication des communications, et l’instauration d’un climat de peur qui a précédé le 11 septembre, souvent caractérisé comme point tournant dans l’escalade terroriste\anti-terroriste. Dans la même veine, Bauman, avance qu’alors qu’au XXe siècle le pouvoir s’exerçait par le contrôle, au XXIème siècle il s’exerce en suscitant peurs et incertitudes, dans un contexte de fragilisation des ancrages identitaires, nationaux, ethniques et religieux qui exacerbe les conflits intergroupes. Enfin, Semelin, analyste des grands basculements vers la violence ciblant l’Autre, démontre comment la haine protège de la peur dans des situations de menaces appréhendées ou de pertes de privilèges : lorsque l’incertitude prévaut, la construction discursive et sociale des figures de l’ennemi est une façon de sortir de l’impuissance en donnant au danger un visage tangible.

L’évolution rapide du contexte international des dernières années a guidé les recherches de l’équipe RAPS. D’une part, la montée des populismes et l’augmentation des crimes et incidents haineux (mouvances d’extrême droite, suprématistes et masculinistes) ont mis en évidence la radicalisation croissante des majorités qui souffrent de l’augmentation des inégalités sociales, et la façon dont celles-ci nourrissent l’imaginaire d’un nombre croissant de jeunes en détresse. D’autre part, la défaite militaire de DAESH et la transformation des équilibres géopolitiques au Moyen-Orient ont modifié le profil des jeunes attirés par les mouvances extrémistes islamistes. 

Contextes canadien et québécois, polarisations et pandémie

Les contextes canadien et québécois n’ont pas été épargnés par les transformations associant polarisations identitaires et conflits sociaux, et il faut penser les lieux de surgissements de postures radicales et de transformation des relations d’altérité, tant dans l’espace public que dans l’espace intime.

L’exacerbation des enjeux identitaires a donné lieu à des reculs au niveau des droits des minorités linguistiques (Ontario), et a nourri un débat difficile sur la question des signes religieux au Québec (Projet de loi 21). On note une augmentation des conflits interethniques dans les institutions scolaires entre 2013 et 2017 : en effet, alors qu’en 2015 une identité collective s’avérait globalement protectrice, en 2017 on notait une association linéaire entre identité collective et certaines formes de violence. 

Au Québec comme ailleurs dans le monde, la pandémie de COVID-19 a augmenté la recherche de boucs émissaires et la légitimation de la violence envers des Autres perçus comme menaçants, ce qui s’est traduit par une forte association entre l’adhésion aux théories de la conspiration et la sympathie pour la radicalisation violente dans l’ensemble du Canada. Sans minimiser la façon dont ce contexte de crise a pu et peut soutenir la mobilisation de solidarités sociales, l’ensemble des données disponibles indique que le Québec est touché par le climat mondial de polarisations, et que les acteurs du champ social doivent se concerter afin de mitiger les effets de ce climat sur la cohésion sociale et le bien être des individus.


L’approche écosystémique pour prévenir la violence

Pour développer des approches de prévention et d’intervention dans une perspective de santé publique, l’équipe RAPS adopte le modèle écosystémique de prévention de la violence proposé par l’OMS, en distinguant trois domaines : 

  1. Les attitudes et les représentations sociales, et ses variations groupales, locales et régionales, qui font l’objet d’efforts de prévention primaire visant la population générale dans des espaces spécifiques (écoles, centres culturels, quartiers, cyberespaces) et qui doivent éviter de cibler des groupes perçus comme à risque (communautés religieuses ou ethniques spécifiques) pour minimiser la stigmatisation qui aggrave les polarisations ;

  2. Les groupes sociaux radicaux organisés, promoteurs d’incitation à la violence ou acteurs de celle-ci, dont les membres peuvent présenter des vulnérabilités (quête de sens et parcours marqués par l’adversité) mais chez qui il n’y a pas de surreprésentation de problèmes de santé mentale ;

  3. Les acteurs solitaires, caractérisés par un grand isolement social et des fragilités psychopathologiques associées à un plus grand risque de passage à l’acte suicidaire\homicidaire, qui requièrent des interventions spécifiques.

 Ces deux derniers champs sont de l’ordre de la prévention secondaire et tertiaire.


Partenariats, complémentarité et intersectionnalité

Les dimensions partenariale et intersectorielle de RAPS sont fondamentales pour mettre en œuvre l’approche systémique prônée. Les partenaires des milieux sont porteurs de questions et de savoirs complémentaires qui orientent et structurent les projets conjoints. La prise en compte des perspectives multiples et des rapports de pouvoir entre acteurs est cruciale pour comprendre la radicalisation violente et traduire cette compréhension en pratiques adaptées à des environnements géographiquement, culturellement et socialement situés. Le partenariat favorise aussi les synergies entre acteurs autour des projets, et facilite les boucles de rétroaction pour ajuster rapidement les programmes.

L’intersectorialité qualifie autant la composition que le fonctionnement de l’équipe RAPS. Celle-ci met en lien :

  • Praticiens et décideurs de quatre milieux : (1) de la santé et des services sociaux, (2) de l’éducation, (3) des forces de l’ordre au niveau local, provincial et national, et (4) du secteur communautaire, avec

  • Chercheurs des universités québécoises (Laval, UQÀM, UdeM, McGill, Concordia, Sherbrooke, TÉLUQ), de regroupements de collège (IRIPII) et d’universités étrangères (Belgique, États-Unis, France). 

  • S’ajoutent le Réseau Canadien des Praticiens en prévention de la radicalisation violente (CPN-PREV), qui vise à renforcer les capacités des acteurs locaux à travers le Canada, et la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents (Chaire UNESCO-PREV), qui a pour objectif de contrer la radicalisation violente au Canada et ailleurs à travers l’éducation. 

L’intersectionnalité de l’équipe RAPS rend possible l’atteinte de l’objectif principal de l’équipe, soit de : formuler des réponses systémiques pour limiter l’attraction exercée par la radicalisation violente et pour consolider le lien social.